Claude Lemaire
Rodogune - 1996    
Rodogune
de Pierre Corneille
Mise en scène : Arlette Téphany
Scénographie & costumes : Claude Lemaire
Lieu : Théâtre du Petit Montparnasse, Paris - France
Source : Les Archives du Spectacles [ 14658 ]
Aborder la mise en espace du texte de Corneille Rodogune, imposait, de s'interroger sur l'ordre baroque. Depuis la Renaissance Italienne, l'Occident ne cesse de se persuader que seule une pensée unitaire se réalisant en une culture universelle permet de rendre le monde intelligible, c'est la grande entreprise de la pensée humaniste, cette pensée tend alors à se fonder en raison.

Pour les peintres, se pose également la question de l'unité du visible - l'image picturale implique un espace et un temps qui se donnent pour unifiés, sans rupture et cohérents - l'invention de la perspective permet de réaliser cette visée unificatrice, c'est la règle de la représentation classique: par la mise en oeuvre du point de vue unique, la pensée devient unitaire.

L'ordre baroque procède tout autrement.

Le théâtre devient une métaphore du monde. Ce monde est en mouvement, ne cessant de se transformer, il oblige à la réflexion, mettant de fait la pensée en mouvement elle-même. La représentation baroque ne peut être saisie et unifiée par le regard mais par la pensée qui toutefois échappe à la certitude. Car l'objet baroque est polymorphe, il nécessite pour être appréhendé d'être contourné. L'esthétique baroque est par essence une proposition de démultiplication des points de vue dont la représentation donne à voir un monde contradictoire qui se livre au regard par fragments et facettes, dans le désordre savant de l'ombre et de la lumière , du reflet aléatoire des formes un instant suspendues dans leur mouvement.

C'est à partir de ces réflexions sur l'art baroque que l'espace du jeu de Rodogune a été élaboré. Le lieu nommé est l'antichambre, c' est-à-dire le lieu non défini de la tragédie, car c'est le théâtre tout entier qui y est contenu, comme métaphore du monde, ce lieu n'est que celui de la parole. Mais c'est aussi un lieu sans mémoire qui échappe à l'identification, un espace décentré, sans repères, où l'image en mouvement qui s'y produit devient aléatoire par le reflet des miroirs dont il révèle la fragilité et la démultiplication. La présence du miroir dans l'espace permet le discontinu de l'image.

Pour ce qui concerne les costumes, il fallait revisiter les rares peintres qui ont semé le trouble dans l'esthétique classique Caravage et Rembrandt en l'occurrence, qui, l'un comme l'autre, évoquent le passé afin de mettre en cause le présent . Dans leurs tableaux, se mêlent temps et lieux par le jeu des anachronismes et des utopies . L'Orient dans l'oeuvre de Rembrandt n'a rien de pittoresque mais entretient avec la réalité un rapport de l'insolite et du singulier. Là où la flamboyance des ors accroche par accident le trait d'une lumière qui n'est pas dans le Champ de l'image et où l'ombre se fond en profondeur, c'est le jeu du clair obscur.

Claude Lemaire